samedi 30 janvier 2016

Des universités politiquement correctes qui doivent « protéger » leurs étudiants

Avertissement — Peut gravement nuire à la santé
L’autocensure dans les campus anglo-saxons confine parfois à l’absurde et bride fortement la liberté d’expression des futurs cadres et élites de la société.

Comment clouer le bec à un intervenant qui joue les trouble-fête ? Voilà qui fait certainement partie du b.a-ba de tout orateur hors pair. À l’université d’Édimbourg, la relève de la classe politique n’aura toutefois pas la chance de se former à cet art. Les interruptions, les rires et globalement toute intervention susceptible de distraire l’orateur sont désormais interdits dans les réunions du conseil des étudiants. Même les gestes et signes de la main sont bannis s’ils expriment « une forme de désaccord ».

Si les étudiants ont le droit d’applaudir l’adoption d’une proposition, il leur est expressément défendu de faire de même si la motion est refusée. Et les contrevenants, y compris le président de la session, peuvent alors se retrouver exclus sur un simple vote à main levée. Ces règles formulées par l’association étudiante de l’université d’Édimbourg montrent jusqu’où les étudiants sont prêts à aller pour faire des campus des « espaces sûrs », des lieux accueillants et douillets, et ne surtout pas heurter la moindre susceptibilité. Les détracteurs de cette mesure y voient l’érosion croissante de l’expression d’une parole désinhibée et un affaiblissement de la notion même de liberté d’expression.

Les polémistes ne sont pas les seuls dans le collimateur. Certains zélotes des syndicats étudiants ont également proscrit les exemplaires du journal The Sun ou Charlie Hebdo, la presse dite masculine et même des chansons de pop. Les étudiants de l’université de Northumbrie ont mis au ban tous les costumes de fête susceptibles d’être jugés racistes, sexistes ou insultants pour les homosexuels, les transsexuels, les handicapés ou les adeptes de certaines confessions. « Votre sens de l’humour ou votre goût pour la provocation ne priment pas le droit de chaque étudiant à se sentir en sécurité sur le campus », affirme l’organisation étudiante.

Ces jeunes gens pensent avoir « le droit » de ne pas être offensés, mais cela peut avoir des conséquences inattendues comme l’a souligné Brendan O’Neill dans les colonnes du Spectator. M. O’Neill voulait participer à un débat à Oxford pour y défendre l’avortement, mais la discussion universitaire a été annulée. Pourquoi ? Parce qu’elle aurait été offensante et aurait pu menacer la « sécurité mentale » des étudiants qui auraient entendu « une personne sans utérus » parler de l’avortement. Quid de la liberté d’expression ? Concept surfait, ont déclaré des étudiants. Une simple excuse qui sert les bigots intolérants.

Comme le relate le New York Times, des étudiants — théoriquement des adultes — ont également décidé qu’il fallait les protéger de passages troublants trouvés dans des livres. Récemment, certains ont demandé qu’on insère des avertissements dans les classiques : Gatsby le magnifique (parce qu’il serait misogyne), Huckleberry Finn (raciste) et le Marchand de Venise (antisémite). Un projet de guide a été diffusé à l’université Oberlin en Ohio, il suggère en outre l’obligation de signaler tout ce qui ressemblerait à du « classisme, du sexisme, de l’hétérosexisme [le gouvernement du Québec y consacre des millions], de cissexisme [partialité contre le transgenre], de capacitisme [préjugés contre les handicapés] et d’autres questions reliées aux privilèges et à l’oppression. »

Au printemps 2015, une étudiante à l’Université Columbia s’est plainte parce qu’elle a été « troublée » par la lecture des Métamorphoses d’Ovide.

Le traitement de Proserpine aux mains de Dis (Pluton) lui aurait remémoré une ancienne agression. Elle a affirmé s’être sentie « en danger ». Selon le Spectator, Columbia aurait ensuite annoncé, sotto voce, que les Métamorphoses allaient être remplacées par Le chant de Salomon de Tonni Morrison. Ouvrage favori d’Oprah et d’Obama décrit en ces termes par l’éditeur : « Héritier de la tradition orale et des légendes africaines, Le chant de Salomon est un retour aux sources de l’odyssée du peuple noir. Entre rêve et réalité, cette fresque retrace la quête mythique de Macon Mort, un adolescent désabusé parti dans le Sud profond chercher d’hypothétiques lingots d’or. Mais le véritable trésor qu’il découvrira sera le secret de ses origines. »


L’Enlèvement de Proserpine du Bernin, 1622
Notons que le rapt de Proserpine (ou Perséphone sous son nom grec) est une scène mythologie extrêmement connue qui a inspiré de très nombreux artistes. Les latinistes adolescents l’apprenaient lors de leurs versions. (Le Québec a résolu le problème : le latin et les classiques [même en français] ont disparu des écoles québécoises sauf rares exceptions pour faire place à des ouvrages modernes insipides et politiquement corrects.) La description d’Ovide n’est en rien crue ou d’une violence explicite :
La terre que baigne cette onde paisible est émaillée de fleurs. Là règnent, avec les Zéphyrs, l’ombre, la fraîcheur, un printemps éternel ; là, dans un bocage, jouait Proserpine. Elle allait, dans la joie ingénue de son sexe et de son âge, cueillant la violette ou le lis, en parant son sein, en remplissant des corbeilles, en disputant à ses compagnes à qui rassemblerait les fleurs les plus belles.

Pluton l’aperçoit et s’enflamme. La voir, l’aimer, et l’enlever n’est pour lui qu’un moment. La jeune déesse, dans son trouble et dans son effroi, appelle en gémissant sa mère, ses compagnes, et sa mère surtout. Sa moisson de lis s’échappe.

Voilà, c’est tout...

En décembre 2014, Jeannie Suk, professeur de droit, a écrit un article désespéré dans le New Yorker à propos de la situation à Harvard, une sorte de SOS. Ses élèves, dit-elle, se sont plaints aux autorités que les lois concernant le viol évoquaient trop de choses (elles sont trop « déclenchantes » pour utiliser le jargon de ces étudiantes) pour être enseignées à tous les étudiants. Une jeune fille pensait que le mot « violer » — comme dans « cela viole-t-il la loi ? » — était trop traumatisant pour qu’on l’utilise en classe. Comme conclut Jeannie Suk, si l’on devait exclure le sujet des agressions sexuelles des écoles de droit, les véritables victimes seraient les vraies victimes de viol qui auraient besoin d’avocats.

À l’université de Swansea, un groupe de danseurs à la barre verticale, a été interdit en raison des « liens inextricables [entre cette activité] et l’industrie du sexe ». À l’université de Birmingham, ce sont les sombreros qui ont été bannis, ainsi que les moustaches des membres d’un club de sport, également jugés racistes. Il en va de même à l’université d’East Anglia, où le port du couvre-chef mexicain est désormais considéré comme une « appropriation culturelle ». Figurent également dans la liste des interdits les groupes antiavortement, les associations féministes, les communautés antitransgenre et les chercheurs israéliens, boycottés par les universités du Sussex, d’East Anglia, de Birkbeck et la School of Oriental and African Studies (SOAS). L’université Brunel applique la tolérance zéro à l’égard des attitudes machistes qui se manifestent à travers des « comportements de meute », une forte consommation d’alcool et, souvent, des « plaisanteries à caractère sexiste, misogyne ou homophobe ».

Alors qu’une loi datant de 1986 oblige les responsables d’établissement à faire respecter la liberté d’expression, ceux-ci sont parfois eux-mêmes à l’origine des interdits. Ainsi, l’administration de l’université de Bristol demande à ses étudiants d’éviter tout acte ou parole inutilement blessante ou provocatrice ».



Certains religieux musulmans, invités à parler devant les étudiants, ont eux aussi fait l’objet d’une interdiction. Imran ibn Mansour [prédicateur musulman actif sur YouTube] a été rayé de la liste des invités de l’université de Londres-Est en 2014 en raison de « son concours actif à la propagation d’opinions homophobes ». L’université a souligné qu’elle ne pouvait contribuer à la ségrégation dans ses auditoriums.

Le magazine Spiked, qui propose depuis un an un classement des universités en fonction de leur degré de liberté d’expression, a noté 115 établissements selon un système de feu tricolore avec une description des décisions liberticides dans chaque cas. Les 55 % qui faisaient partie des plus hostiles à la liberté d’expression ont reçu un feu rouge du magazine. Ce sont des universités dont l’administration ou les étudiants eux-mêmes ont interdit des idéologies, des affiliations politiques, des croyances, des livres, des conférenciers ou des types de commentaires : 35 % ont reçu un feu orange, signe que des restrictions à la liberté d’expression ont été mises en place dans le but de limiter les propos insultants, polémiques ou provocateurs. Seuls 10 % des universités notées ont reçu un feu vert, signifiant qu’aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour contrôler la parole.

La résistance s’organise néanmoins au Royaume-Uni sous la forme d’un réseau d’associations étudiantes contre la censure. Des groupes de parole « libre » se mettent en place à la London School of Economics et à l’université d’Édimbourg, même si les étudiants de cette dernière n’ont pas le droit d’interrompre leurs camarades.

Aux États-Unis également, ces menaces contre la liberté d’expression ont attiré l’attention sur la Déclaration de Chicago qui a été adoptée par plusieurs universités prestigieuses, dont Purdue, Princeton, l’American University, Johns Hopkins, Chapman, Winston-Salem State et le réseau de l’Université du Wisconsin, selon la Fondation pour les droits individuels en éducation (Fire), une association à but non lucratif qui milite pour la liberté d’expression. Cette déclaration est brève (trois pages) et catégorique.

« Le véritable rôle de l’université n’est pas de tenter de protéger les étudiants contre les idées et les opinions qu’ils trouvent déplacées, désagréables, voire profondément offensantes », affirme la déclaration. « Des inquiétudes quant à un manque de civilité ou de respect mutuel ne peuvent jamais être invoquées comme justification pour empêcher le débat d’idées, aussi blessantes ou déplaisantes soient-elles. » La déclaration conclut en déclarant que la responsabilité d’une université est non seulement de promouvoir « une intrépide liberté de débattre », mais aussi de la protéger.

Le comité s’est diligemment penché sur les inquiétudes suscitées par les « discours haineux » et les « microagressions ». Toutefois, il a conclu que, quel que soit le tort causé par cette expression, il doit être redressé par des « membres de l’université... qui réfuteront franchement et vigoureusement les idées qu’ils condamnent » et non par la censure.


Sources : le Times de Londres, New York Times, Spectator, The Economist

Voir aussi

Canada — Liberté d'expression et d'opinion menacée dans les universités

2 commentaires:

Yves G a dit…

On dirait que Facal vous a lu....

Plusieurs humoristes confirment qu’ils s’autocensurent beaucoup plus que jadis pour ne pas devenir les cibles de groupuscules qui disent représenter des minorités religieu­ses, ethniques ou sexuelles.

Mais le mal est encore plus insidieux que vous pourriez le croire.

Historiquement, à quelle institution avons-nous confié l’avancement de la connaissance, en y protégeant avec un soin particulier la libre circulation des idées, surtout lorsqu’elles dérangent?

Totalitaire
Certaines demandes sont inoffensives. D’autres sont franchement inquié­tantes.

Beaucoup procèdent d’un esprit carrément totalitaire.
À Dartmouth, on demande que tous les professeurs reçoivent une formation axée sur la sensibilité inter­culturelle et l’importance de la justice sociale.
Joliment dit, non?
Au Guilford College, on demande que, chaque semaine, un professeur admette publiquement sa participation à un épisode raciste. On faisait cela pendant la Révolution culturelle de Mao...
À Wesleyan, on demande l’installation d’un système de dénonciation anonyme, géré par les étudiants eux-mêmes, des situations où un professeur aurait été idéologiquement ou racialement «biaisé» envers un étudiant.
À l’Université de Caroline du Nord, on demande carrément que des professeurs blancs n’enseignent pas de cours portant sur des sociétés dans lesquelles la «suprématie blanche» aurait permis la colonisation et l’escla­vage.
Ailleurs, on veut bannir des campus les chansons dont les paroles peuvent déranger, les photos le moindrement suggestives, les invitations de conférenciers dont les propos pourraient être jugés offensants par un groupe.
Souvent, on demande aux autorités universitaires de sévir contre ceux qui oseraient se dresser contre ces nouveaux chiens de garde de la rectitude idéologique.
La rhétorique est toujours la même: on évoque le «respect mutuel», la «civilité», les torts du passé et la vulnérabilité de chaque minorité pour exiger l’interdiction des propos qui ne se conforment pas à cette nouvelle morale pseudo-progressiste.
Ce qui est masculin, blanc, trop laïc et trop occidental est présumé insensible, agressant et coupable avant d’avoir parlé. Alors pourquoi le laisser parler?
On refuse de voir qu’il y a justement du paternalisme et de la violence à décider pour les autres ce qu’ils pourront entendre.
On refuse aussi de voir que la liberté de parole est déjà encadrée puisque les discours contenant de clairs appels à la violence sont proscrits dans nos sociétés.
Quel avenir ?
Au Québec, nous sommes, pour le moment, relativement épargnés par cette fièvre qui balaie les campus américains.
Là-bas, des jeunes sont en train d’intérioriser une idée funeste: que la justice, c’est l’imposition autoritaire des idées de ceux qui s’imaginent être du bon côté de l’Histoire parce qu’ils crient plus fort et se posent en victimes.
Le savoir avance quand il y a compétition entre les idées. S’il n’y a pas ce choc, il avancera moins.
La démocratie, elle, repose sur l’idée que les gens sont capables de penser et de décider eux-mêmes. Si une poignée décide pour eux, c’est la démo­cratie qui recule.


À l’université, évidemment. Allez maintenant faire un tour sur le site TheDemands.org.
Vous y trouverez les demandes faites par des mouvements d’étudiants pour imposer sur les campus américains leur nouvelle orthodoxie idéologique.

http://www.journaldemontreal.com/2016/02/16/le-serpent-de-la-censure

HipHop a dit…

Désolant et inquiétant: sur les campus britanniques, les syndicats étudiants traquent la liberté d’expression et bloquent le débat intellectuel. [...] A la London South Bank University lors des journées portes ouvertes, un dessin de Michel-Ange a choqué un étudiant qui s’est immédiatement plaint à l’université. Un représentant du syndicat étudiant a retiré l’affiche dans l’heure et demandé à l’association de plier bagages au motif que ce dessin offensait la sensibilité des étudiants religieux.

L’ironie est que, aujourd’hui, les personnes sulfureuses ne se nomment plus tant Marine Le Pen, qui a pu ainsi s’exprimer devant les étudiants Oxford en février dernier, non, ce sont désormais les laïques, les militants pour la réforme de l’islam ou encore des féministes émérites, qui sont mis à l’index. Les voici non seulement chahutés violemment mais également interdits de tribune. [...]

En laissant aux syndicats étudiants le rôle de censeurs, les autorités universitaires britanniques, péchant par défaitisme autant que par irresponsabilité, renoncent en fait à leur obligation légale (et clairement énoncée dans The Education Act de 1986) de garantir la liberté d’expression dans les campus du pays.

http://www.marianne.net/quand-les-islamistes-infiltrent-les-universites-100241054.html